CEMECA - Centre des Médias Communautaires

Depuis deux ans, radio Salaki expérimente l'utilisation du téléphone portable comme moyen de franchir le temps et l'espace en vue de mieux jouer son rôle de radio communautaire dans la région.

Une première radio en 1995 et une seconde en 2007. Entre ces deux dates espacées de 12 ans, la téléphonie mobile s'est développée de façon impressionnante, révolutionnant ainsi la vie socioéconomique de la population locale et induisant par conséquent une nouvelle façon de faire la radio communautaire.

En 1995, le téléphone était rare dans la région de la Boucle du Mouhoun. Seuls quelques privilégiés de la ville en disposaient au service et parfois à domicile.

Conséquence sur la radio : Quasi inexistence de participation téléphonique aux émissions. Les auditeurs effectuaient le déplacement à la radio. Ceux qui étaient loin de la station n'avaient aucune possibilité de participer directement aux émissions. Le courrier papier était le seul canal. Mais peut-on parler de courrier papier dans une société à 75% analphabète ?

L'évolution : A partir de 1999, le téléphone portable s'est développé mais il restait encore un luxe. Seuls les fonctionnaires et les commerçants pouvaient s'en procurer. Les fournisseurs de téléphonie mobile desservaient exclusivement les grands centres.

En 2000, l'expansion du téléphone mobile était effective. La baisse du prix du portable favorisa une plus grande accessibilité. Les fournisseurs commencèrent à étendre leur réseau pour couvrir les zones rurales. A partir de moment, tout bascula.

A la création de ma première radio communautaire (en 1995), les studios de la radio ont été pris d'assaut par les auditeurs venus intervenir sur les ondes afin de saluer la naissance de la nouvelle radio. Chacun voulait que sa voix passe sur les ondes.

Mais en 2007, lors du lancement de Radio Salaki, le même phénomène s'est produit mais sous une autre forme : les auditeurs ne sont pas venus à la radio. Ils ont utilisé leur téléphone portable pour intervenir sur les antennes. Pas d'affluence de foule dans les studios mais plutôt le téléphone qui est pris d'assaut, saturant ainsi nos deux lignes. Ces deux situations illustrent clairement deux périodes différentes de la radio communautaire, l'une sans téléphone mobile et l'autre avec le téléphone mobile.

A partir de cette expérience, nous avons réalisé que quelque chose avait changé dans la société et que nous ne pouvions plus faire la radio communautaire comme avant. Nous avons compris que nous devions nous adapter à cette nouvelle culture vécue déjà par notre population et à laquelle elle nous interpelle. Il s'agissait désormais de créer une radio communautaire qui prenne en compte ces nouveaux médias.

Les nouvelles technologies ont considérablement transformé la manière de vivre des populations. De son village le paysan est désormais en mesure de communiquer avec le monde entier. Plus besoin de pédaler la bicyclette pour se rendre au village voisin afin de s'informer du prix du maïs. Un simple coup de fil et le tour est joué.

Le fait de tenir en main cet outil magique fait de celui qui le porte un autre homme.

Un homme amplifié par l'outil qu'il possède et qui influence désormais son comportement physique et mental. Le téléphone mobile est une porte ouverte vers le monde, d'autant plus que les nombreuses options permettent d'accéder à la radio, à la photos numérique, à l'enregistrement numérique et même à l'Internet. Le paysan n'est plus l'homme isolé dans son petit village et ignorant de tout se qui se passe autour de lui.

Le téléphone mobile, un outil qui contribue à la promotion de la paix au village :

Les jeunes du village communiquent entre eux, échangent les numéros de téléphone, s'envoient des SMS pour se passer les informations de leurs quartiers, de leurs villages, etc. Ils se lancent des invitations pour des soirées dansantes, des fêtes, des retrouvailles, Ils échangent des photos et des sons.

Le développement du téléphone mobile permet aux jeunes d'initier de petites entreprises qui proposent des services liés à la téléphonie mobile

Les utilisateurs de la téléphonie mobile utilisent un vocabulaire lié à l'outil : « Portable, réseau, bipper, envoyer un message, faire GPT, bonus, unité, SMS, composer un numéro, son, bluetooth, etc. ».

L'expansion de cet outil a provoqué de nombreuses difficultés à la radio. Parmi celles-ci, on peut citer la perte d'une grosse part de marché des annonces. En effet, les gens passent certaines informations par le téléphone et nom par un communiqué radiophonique.

Le traditionnel concert des auditeurs qui consistait à payer 100 F pour solliciter un morceau de musique à l'intention de ses amis et connaissance est mort de sa belle mort. Les auditeurs ne demandent plus de musique par écrit mais préfère téléphoner sur les antennes ou envoyer un message texto. Par conséquent, la radio se retrouve dans l'incapacité de facturer les demandes de disques, puisqu'elles se font par téléphone. Alors, le gagnant dans tout ça, c'est le promoteur.

Ces difficultés ont contribué à engager une réflexion sur comment tirer profit du téléphone portable. L'idée d'exploiter le téléphone mobile au profit de la radio nous a été donnée par un de partenaire qui connaît bien la situation des radio communautaires.

Dans un premier temps, nous avons mis en place un appareil permettant de recevoir directement sur notre console les appels par GSM. Ce qui a permis de baisser considérablement le coût des appels téléphoniques pour les auditeurs et d'exploiter le système de flotte.

La flotte est un système de réseau clients basé sur le paiement forfaitaire et groupé qui donne droit à un service illimité à l'intérieur du réseau. Par exemple, dans notre flotte, chaque membre paye 5 000 FCFA par mois. Ce qui permet d'appeler les numéros du réseau sans limitation de temps.

Nous avons ensuite ouvert la flotte à nos cellules de base et aux auditeurs afin de former un véritable réseau que nous pouvions exploiter en notre faveur.

Exemple : la région a connu de grosses inondations qui ont fait d'énormes dégâts. Avec le téléphone portable, la radio a pu rendre compte de la catastrophe.

L'utilisation du téléphone portable par les correspondants par les journalistes communautaires pour l'envoi des éléments d'information à la rédaction de la radio.
Collecte de données d'animation auprès des relais communautaires par la téléphonie mobile
Utilisation du téléphone portable pour produire des émissions en directe des villages et des quartiers. Exemple : l'émission grain de thé (émission à thème sous forme de débats autour du thé) se déroule souvent dans les villages et les quartiers à partir du téléphone portable.
Utilisation du téléphone dans les relations publiques de la radio : les auditeurs n'ont plus besoin de se déplacer jusqu'à la radio pour transmettre leurs communiqués, ils le font par SMS vers la radio ou tout simplement dictent leur texte au téléphone.
Une émission hebdomadaire de consultation de l'auditoire a été créée. Elle donne l'opportunité aux auditeurs de critiquer les émissions de la radio et de faire des propositions pertinentes pour une amélioration de la grille de programme et du contenu des émissions. Il s'agit de l'émission « Salaki j'écoute ». Cela permet à la radio de rester en phase avec les besoins de ses auditeurs.
La diaspora écoute la radio par le biais du téléphone portable. Les parents ou amis posent le téléphone à proximité d'un récepteur, permettant à leur correspondant de suivre le programme durant quelques minutes. Une émission de 30 mn est d'ailleurs consacrée à cette diaspora, lui permettant de donner en directe leurs nouvelles sur les ondes. Les appels viennent souvent du Mali, de la Côte-D'Ivoire, du Togo, du Bénin et de la France

Le téléphone mobile, outil de lutte contre le grand banditisme

Le téléphone permet de traquer les bandits dans les villages. Lorsque la population aperçoit une personne ayant un comportement suspect, elle peut alerter la police.

Autant de réalités qui permettent de situer la place du téléphone mobile dans les villages et de ne plus envisager la radio communautaire sans prendre en compte ce nouveau média.

Face à l'échec du concert des auditeurs par courrier papier, nous l'avons remplacé par le concert des auditeurs par téléphone. Grâce à la flotte, nous avons mis en place dans chaque bureau une ligne sur flotte à 10000 F par mois, payable par le bureau. Ce qui donne aux auditeurs un meilleur accès au téléphone pour participer à nos émissions moyennant la somme de 200 F Ce qui permet aux bureaux de rentabiliser la flotte, de verser les 10000 F/mois et de gagner un petit bénéfice pour leur caisse.
Nous avons créé l'émission « Looni » pour apprendre aux gens à se servir du téléphone portable. Il s'agit de donner les notions d'utilisation du téléphone portable, du langage du téléphone portable et de l'entretenir. Il s'agit aussi d'apprendre la déontologie du portable en vue de développer l'autorégulation.
Nous avons initié l'alphabétisation afin d'aider les villageois à mieux se servir du téléphone par la lecture et l'écriture (composition des numéros, envoi de SMS, etc).
Nous sommes en négociation avec les promoteurs de téléphonie mobile pour rendre accessibles certains informations par le téléphone mobile : prix des céréales, météo, marchés du jour, etc.

Grâce au téléphone mobile, Radio Salaki franchit le temps et l'espace. Contrairement à l'époque où le contact entre la radio et ses auditeurs n'était possible que par courrier, aujourd'hui, grâce au téléphone, la radio est en perpétuel contact avec ses auditeurs en temps réel. De n'importe quel point de la région Radio Salaki peut effectuer des reportages ou des émissions. Les auditeurs eux aussi peuvent appeler à tout moment pour intervenir ou donner leur point de vue.

Les auditeurs contribuent à faire l'information. Avec le téléphone mobile, Ils participent à l'information. C'est grâce au téléphone mobile que nous avons mis en place des correspondants ruraux qui, après avoir reçu une petite formation font remonter les informations de leurs localités vers la rédaction.

Grâce au téléphone portable, les auditeurs alertent la radio ou les correspondants de la radio lorsqu'il y a un évènement ou une situation qui peut intéresser la rédaction de la radio. Exemple : cette année, un éléphant égaré faisait des ravages dans la région. Il saccageait tout sur son passage et n'hésitait pas à charger tout ce qui bouge. Il a d'ailleurs fait 3 mort et plus de 5 blessé. Grâce à la radio, le pire a pu être évité. En effet, les auditeurs appelaient à la radio pour donner la position de l'éléphant. Nous pouvions ainsi situer les auditeurs sur l'itinéraire de l'éléphant et appeler les populations à la prudence.

Libéralisation de la parole. Le téléphone portable a apporté une libéralisation de la parole. Lorsque nous avons lancé des émissions de débat sur des thèmes liés à la démocratie ou à la politique, la participation était au début très timide. Mais dès que quelques téméraires ont commencé à participer et à donner leurs point de vue, tout le monde a compris qu'il pouvait participer au débat sans se faire arrêter. Alors, la participation est devenue massive et chaque auditeur s'exprime librement.

Et puis, les gens ont appris à parler à travers un médium, un outil. On se souvient des anecdotes des débuts du portable au village. Allo ! Allo, c'est toi ? comment sais-tu que je suis ici ?

Le prix d'achat du téléphone portable reste hors de la portée des populations. Un téléphone mobile basique coûte 15 000 F au Burkina Faso.
Il n' y a pas de techniciens de maintenance compétents dans les zones rurales susceptibles d'offrir un service de maintenance de qualité.
Le réseau de la téléphonie mobile n'est pas suffisamment étendu pour le moment.
Il n y a pas de sources d'énergie dans les villages pour la charge des batteries. J'ai entendu parler de téléphones portables du futur qui se chargerait par les ondes radio.Vivement le jour où cette technologie sera vulgarisée.
Les tarifs de communication en téléphonie mobile restent assez chers pour le pouvoir d'achat de la population.
Les femmes et les enfants n'ont pas encore accès au téléphone portable dans les villages. L'outil reste encore l'apanage des hommes. Pour communiquer à la radio ou ailleurs, les femmes empruntent les portables de leurs maris. On remarque cependant que quelques filles détiennent des portables dans les villages.
L'analphabétisme limite la bonne utilisation du téléphone portable

Les politiques et les ONG doivent impérativement accompagner la population pour une entrée sereine dans dans la nouvelle culture des nouveaux médias.

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LA TELEPHONIE MOBILE AU SERVICE DE RADIO SALAKI